L’unité, comment et pour quoi faire ?

Dans moins de deux mois maintenant vont avoir lieu : d’une part, l’une des plus importantes mobilisations alter/écolo/mondialistes en France depuis longtemps à l’occasion de la COP 21, et, d’autre part, les élections régionales qui seront le dernier rendez-vous électoral national avant les Présidentielles et Législatives de 2017. Deux échéances majeures pour lesquelles la gauche radicale devrait en ordre de bataille, enthousiaste, unie et déterminée, mais qu’elle aborde en ordre dispersé, affaiblie, morose et dubitative.

Les données objectives de la période expliquent en partie cette situation : la crise (économique, politique, sociale et idéologique) du système capitaliste, les politiques austéritaires des sociaux-libéraux, l’offensive réactionnaire, raciste et xénophobe de la droite et de l’extrême-droite, le faible niveau des mobilisations des salarié-e-s et du mouvement social traditionnel, etc. Tous ces facteurs jouent un rôle important dans la dégradation du rapport de force global. Mais il en existe aussi un certain nombre d’autres, tout aussi importants, qui renvoient plus subjectivement aux stratégies des organisations et directions de la gauche dite « d’alternative ».

L’échec du Front de gauche…et d’Ensemble !

Fête de l’Huma, septembre 2011. Photo : Stéphane Burlot.

Depuis trois ans, l’échec du Front de gauche à construire un mouvement large, ouvert et dynamique, incluant composantes politiques ET initiatives associatives et citoyennes, a ainsi grandement participé à l’affaiblissement de notre camps politique et social. Toutes les composantes de l’actuel Front de gauche portent une part de responsabilité dans cet échec, qui varie selon leur force et leur influence. En premier lieu, il y a bien sur le PCF, paralysé  par ses ambigüités stratégiques et incapable de penser au-delà de la défense désespérée de ses intérêts d’appareils. Il y a aussi le PG, ses « coups » tactiques à répétition et ses méthodes de bourrin qui échouent à faire significativement avancer le schmilblick. Mais il y a également Ensemble !, sa recherche permanente du consensus mou et ses velléités unitaires incantatoires qui ne parviennent pas à cacher son impuissance. Or, si nous, à Ensemble !, sommes toujours de promptes critiques de nos partenaires du Front de gauche, nous sommes souvent plus réticent-e-s à reconnaître et interroger nos propres erreurs et inconséquences.

Ainsi en a-t-il été du bilan de l’assemblée générale (AG)/conseil national (CN)élargi du Front de gauche organisée en septembre de l’année dernière et qui est ce jour la dernière initiative de débat collectif interne au Front de gauche. Cette réunion aurait dû permettre de « relancer » le Front de gauche et de prendre des initiatives en direction du reste de la gauche et des classes populaires. Il n’en a rien été. C’est la litanie des vœux pieux habituels et le concert de langue de bois politicienne qui ont prévalu. Aucune proposition de relance n’en est sortie, et encore moins de réponses claires aux interpellations des quelques représentant-e-s des assemblées citoyennes et des fronts thématiques présent-e-s. La déclaration, rédigée par nos soins et adoptée par la coordination nationale du Front de gauche sans avoir été ni sérieusement discutée ni travaillée ultérieurement par l’AG/CN, est à l’image de cette journée : d’un vide intersidéral. Chacun-e est donc reparti-e faire de son côté, se satisfaisant de maintenir le Front de gauche sous respiration artificielle, et se fendant de déclarations et de sourires hypocrites une semaine plus tard devant les caméras de la fête de l’Huma pour maintenir l’apparence d’une unité dont personne n’était dupe.

Au printemps dernier, tandis que le PCF s’empressait de ne surtout rien faire ni rien décider et que le PG lançait en solo des « rassemblements citoyens » dans la foulée du « Mouvement pour la 6e République » que nous avions choisi d’ignorer, nous (Ensemble !) avons défendu le processus des « Chantiers d’espoir ». A ce jour, je ne suis toujours pas certaine de savoir quel en était l’objectif concret. S’agissait-il d’affirmer notre opposition à la politique de gouvernement Hollande-Valls, de ré-écrire un nouveau programme de mesures d’urgence, de dépasser le Front de gauche dans un nouveau mouvement, créer des « convergences » de luttes ou discuter franchement d’une plate-forme politique prélude à une alliance électorale commune ? Nous n’avons jamais fait l’effort de clarifier ce à quoi devait servir concrètement cette initiative. Résultats : personne, parmi nos partenaires et y compris dans nos propres rangs, n’a été vraiment convaincu ni n’a su quoi faire du « machin » dont la direction organisationnelle a été laissée à une figure issue du PS sans légitimité ni ressources suffisantes pour impliquer largement les réseaux militants et encore moins au-delà.

Quel bilan tirons-nous de l’échec des « Chantiers d’espoirs » ? Considérons-nous même que cette orientation a été un échec ? Silence radio. Aucune analyse, aucun bilan. Nous avons passé des mois à entonner le crédo confus d’une unité abstraite et à sous-estimer l’importance d’avoir des propositions concrètes et des exigences précises, notamment au niveau électoral. Au final, et comme il fallait s’y attendre, le calendrier nous a rattrapé. Nous nous sommes laissé-e-s dépasser par les un-e-s (EELV), tordre le bras par les autres (PCF) et enfermé-e-s dans une logique étroite de cartels sans la moindre dynamique extérieure.

Quid du mouvement social et associatif que nous sommes pourtant censé-e-s être les seul-e-s à véritablement prendre en considération ? Quid de l’implication citoyenne que nous estimons pourtant fondamentale dans la construction de l’alternative ? Quid du changement des pratiques et du renouvellement de la représentation politique conditions nécessaires (voire impératives) à la construction de nouveaux mouvements politiques ? Quid de la diversité générationnelle et multiculturelle, du non-cumul des mandats, de la révocabilité des élu-e-s, etc., pour pouvoir s’adresser et intégrer largement les forces individuelles et collectives au-delà de la peau de chagrin de nos sphères militantes traditionnelles, majoritairement cis/blanches/hétéro/masculines ? A force de défendre l’unité à tout (n’importe quel) prix, sans clarté et sans boussole, nous avons fini par remiser tout cela au placard. On verra ça après les élections…ou pire : on recommencera la même aux prochaines élections.

Se donner, même modestement, les moyens de nos ambitions

Les voies de la lutte des classes sont impénétrables. Et nous sommes bien peu de choses dans ce grand désordre dialectique. Mais si nous sommes engagé-e-s et organisé-e-s politiquement, c’est parce que nous pensons que même ce « peu » là compte. Que rien n’est écrit ni joué d’avance. En l’espace de quelques mois, nous avons vécu la défaite du gouvernement Syriza face aux diktats de la Troïka et la victoire de la gauche Corbyn à la direction d’un des plus vieux, plus puissant et plus social-libéralisé parti social-démocrate d’Europe. L’instabilité objective du système lui-même le rend d’autant plus susceptible aux influences subjectives. Nous ne sommes pas condamné-e-s à être tantôt les éternel-le-s commentateur-trice-s du match PC vs PG, tantôt ses arbitres/casques bleus, tantôt la troisième composante/roue du carrosse. A notre modeste échelle, nous pouvons contribuer à faire exister une véritable alternative à gauche et à changer les rapports de force dans la société. Pour cela, il nous faut clarifier nos objectifs, notre stratégie et nos moyens.

L’unité n’est pas un objectif en soi. L’unité pour l’unité ne sert à rien. L’unité sans boussole et sans rapport de force peut mener droit dans le mur. Et surtout, on ne peut pas être une force de changement véritable, sans travailler au dépassement de ses propres structures et fonctionnements archaïques et sclérosés. On ne peut prétendre œuvrer à la transformation révolutionnaire de la société, si on n’est pas soi-même capable de changer, de se transformer. A force de calculs égoïstes, d’erreurs et d’inconséquences, les prochaines élections se profilent comme un (très) mauvais moment à passer pour la gauche. Heureusement, il existe au moins deux autres fronts de lutte que nous pouvons soutenir et participer à construire dans les prochains mois et qui représentent une chance, peut-être la dernière chance, de renouveau de l’alternative à gauche.

Trente ans après la Marche pour l’égalité, dix ans après les révoltes des banlieues, de nouveaux mouvements antiracistes ont vu le jour, portés par de nouvelles générations militantes. Ces dernières ont une défiance viscérale à l’égard du PS qui, une fois au pouvoir, s’est empressé de renier ses engagements en matière de droit vote des résident-e-s étranger-e-s, et a préféré emboiter le pas à la droite en s’en prenant aux salarié-e-s, aux Roms, aux immigré-e-s. Mais elles n’attendent plus grand-chose non plus de la gauche radicale qui s’est jusqu’à présent montrée totalement inconséquente sur la question du racisme et des discriminations, reste encore très réticente à reconnaître les positions de privilèges qui demeurent en son sein, et se refuse à interroger et déconstruire l’impensé colonial et postcolonial qui alimente ses propres préjugés et comportements racistes.

Fin octobre aura lieu une nouvelle marche « de la dignité et contre le racisme » à l’initiative de plusieurs associations et collectifs antiracistes. Non seulement la gauche blanche radicale doit soutenir cette initiative, mais elle se doit d’y participer, en se comportant comme une alliée respectueuse, à l’écoute avant d’être éventuellement critique et surtout débarrassée de ses mauvaises habitudes de professeure rouge donneuse de leçons politiques et stratégiques. De façon similaire, nous devons développer une approche plus humble et ouverte dans la manière de construire le grand mouvement pour la justice climatique qui s’est donné rendez-vous à Paris cet automne. Cette mobilisation est l’occasion pour nous non seulement de préciser et faire connaître nos propositions éco-socialistes, mais aussi d’accepter et d’intégrer d’autres modes d’organisation et de participation militantes et citoyennes.

L’unité de notre gauche, de notre camp, est une condition sine qua non pour battre la droite et combattre durablement l’extrême-droite qui mène actuellement l’offensive la plus soutenue pour représenter une alternative réactionnaire, raciste et xénophobe au social-libéralisme. Mais cette unité doit se faire dans un but précis, sur des bases claires et avec des objectifs concrets. Elle doit se construire au travers d’alliances qui dépassent les cartels des partis pour intégrer les nouvelles dynamiques autonomes, associatives et citoyennes et créer ainsi les mouvements auto-émancipateurs d’aujourd’hui et de demain. Le temps nous est compté. Nous n’avons plus le droit à l’erreur.