Et si on parlait politique?

« Audacter calomniare semper aliquid haere »

Mercredi 11 octobre dernier, l’Assemblée nationale a adopté en seconde lecture le projet de loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ». Ce texte est critiqué depuis plusieurs mois par l’ensemble des organisations de défense des droits humains (Ligue des droits de l’Homme, Amnesty International, Human Right Watch, ONU…) et de nombreuses associations de magistrat·e·s, d’avocat·e·s, de citoyen·ne·s… Parce qu’il fait reculer l’Etat de droit et les libertés démocratiques, parce qu’il passe à côté de ce qu’il faudrait faire pour prévenir efficacement les actes de terrorisme, parce qu’il participe à la stigmatisation de nombreux secteurs de la population. Raisons pour lesquelles le groupe parlementaire de la France insoumise s’y est opposé tout en soumettant des propositions alternatives (voir, entre autres, ici et les interventions argumentées d’Ugo Bernalicis et les miennes sur le sujet). Mais de tout cela, le grand public, les citoyen·ne·s n’en sauront rien. En tous cas pas par la voix des principaux grands media. L’important débat national qu’il aurait fallu avoir sur un sujet aussi sérieux et sensible n’aura malheureusement eu lieu ni à l’Assemblée nationale, ni dans le reste de la société.

Il y avait pourtant matière à débattre. Comme par exemple sur la trentaine d’amendements portés par le groupe de la France insoumise en faveur : du renforcement des moyens des services de police, de justice, de renseignement et de douanes ; d’un meilleur encadrement des contrôles d’identité pour prévenir les excès ; d’une lutte plus déterminée contre les individus, entreprises et Etats qui soutiennent financièrement les organisations terroristes, ainsi que contre les paradis fiscaux par où transite cet argent sale…Tous ces amendements ont été accueillis, au mieux par un silence gêné de la part de la majorité nos collègues parlementaires, au pire par d’infames insinuations proférées par la frange la plus « radicalisée » de la droite, d’« En marche » et de ces olibrius en mal de légitimité et habitués des coups de menton permanents, sous les applaudissements de l’extrême-droite.

Le travail d’information médiatique n’aura lui non plus pas été à la hauteur des enjeux. Le rejet par les député·e·s de la majorité des arguments de toutes les organisations des droits humains sur le caractère liberticide de cette loi ou de tous les amendements visant à mener une lutte globale pour prévenir les actes de terrorisme ne suscite quasiment aucun questionnement appuyé. Par contre, quand je tente d’expliquer en réponse à la question d’une journaliste que le comportement du désormais fameux chauffeur de bus qui refuse de prendre son service après une femme est bien évidemment sexiste et doit être sanctionné par sa direction, mais que cela n’a rien à voir avec la loi actuellement en débat car ce n’est pas forcément « le » signe d’une « radicalisation » pouvant mener à la commission d’actes de terrorisme et qui justifierait d’être fiché « S », de voir son domicile perquisitionné, d’être assigné à résidence, de porter un bracelet électronique, etc., on assiste aussitôt à un emballement caricatural où amalgames et raccourcis tiennent lieu d’analyses politiques pour tout ce petit monde toujours si prompt à user et abuser de concepts imprécis comme arguments d’autorité. Emballement que ne susciteront d’ailleurs pas, une semaine plus tard, les propos du ministre de l’Intérieur Gérard Collomb quand il répond à côté de la même question que lui pose la même journaliste dans la même émission, et qu’il finit par réfuter l’idée qu’on pourrait se baser sur « un signe » pour constater un processus de radicalisation pouvant mener à la commission d’actes de terrorisme.

« Une mise au point s’impose. Ni le terme de radicalisation ni aucun de ses dérivés n’est employé car il ne s’agit pas d’un concept scientifique rigoureux. « Radicalité » est devenu un mot fourre-tout pour désigner vaguement ce qui est perçu comme une menace non maîtrisée et un label hasardeux des politiques publiques dans un contexte de montée de la violence djihadiste depuis les attentats commis en France par Mohammed Merah en 2012. » Ces propos sont ceux d’Antoine Jardin, chercheur au CNRS associé à l’enquête de 2016 de l’Ifop et de l’Institut Montaigne sur l’Islam français, dans une tribune parue dans les colonnes du Monde en septembre 2016. Philippe Blanchet, professeur de sociolinguistique, parle, quant à lui, d’ « un terme ambigu, aux sous-entendus hypocrites et aux conséquences dangereuses » dans son ouvrage Les Mots piégés de la politique paru en mai 2017 aux éditions Textuels. Les traitera-t-on eux aussi d’« islamo-gauchistes », les accusera-t-on de « complaisance à l’égard de l’islam politique » voire de complicité avec les terroristes ?

Bien sûr que non. Ces qualificatifs insultants ne sont réservés qu’aux député·e·s de la France insoumise et en particulier à celle qui, par sa singularité de femme politique noire et insoumise, insupporte au plus haut point les tenant·e·s du système. En lieu et place d’une discussion informée et argumentée autour des processus qui peuvent mener une personne à commettre des actes de terrorisme – et dont tou·te·s les spécialistes s’accordent à dire qu’ils sont complexes et multifactoriels – toute une série d’irresponsables politiques et médiatiques auront préféré faire le procès en illégitimité et en dangerosité de Danièle Obono et de la France insoumise pour mieux parasiter notre message et rendre inaudible nos propositions. Il n’en fallait pas plus comme signal de ralliement à toute la lie raciste, sexiste et xénophobe si décomplexée depuis ces dernières années pour se lancer dans une nouvelle vague d’attaques, d’insultes et même de menaces à tout va, après la séquence de juin dernier. (Et pour celles et ceux qui douteraient du caractère raciste et sexiste d’une bonne partie des attaques dont j’ai fait l’objet, je vous invite à faire une recherche avec mon nom sur les différents réseaux sociaux depuis le mois de juin).

Ces attaques ne paraissant pas suffisantes pour nous réduire au silence, et comme pour répondre à l’appel du torchon d’extrême-droite Minute dont la Une de la semaine arborait ma photo avec l’apostrophe « Mais qu’on la fasse taire, bordel ! », une nouvelle charge a été lancée contre ma personne, et à travers elle la France insoumise, pour faire peser sur nous le soupçon d’antisémitisme. En cause : un court passage d’un texte que j’ai écrit le 11 janvier 2015 et où j’interroge mon propre engagement politique et le bilan de cette gauche à laquelle je pensais appartenir sous le coup du traumatisme des attentats terroristes qui s’étaient produits quelques jours auparavant. Dans ce passage, allègrement tronqué, je déplore notamment l’attitude d’une certaine gauche dans sa défense de la liberté d’expression, qui fluctue souvent en fonction de l’identité des personnes visées, en citant l’exemple du sinistre Dieudonné M’bala M’bala. Là où je pointais la faute politique d’une censure étatique qui alimente l’accusation d’un « deux poids, deux mesures » quand il s’agit de réagir à des propos racistes, de zélé·e·s commentateur·trice·s se sont autorisé·e·s à m’attribuer de la complaisance ou des accointances avec cette crapule d’extrême droite antisémite. En prenant toujours le soin, pour les plus malins et malignes d’entre elles et eux, de le citer abondamment et même de notifier ses comptes sur les réseaux sociaux, histoire de bien s’assurer qu’il profite, en bon opportuniste qu’il est, de la publicité gratuite qui lui est ainsi complaisamment faite, ce qui n’a pas manqué d’arriver.

Les mêmes n’avaient pourtant pas proféré de pareilles inepties lorsque la Ligue des droits de l’Homme a pris position contre l’interdiction par le Conseil d’Etat du spectacle de ce mauvais drôle en 2014… L’organisation de défense des droits humains expliquait notamment que : « En faisant prévaloir la décision administrative d’interdiction sur la règle du droit garante de la liberté d’expression et du jugement sur le fait constaté, la décision du Juge des référés du Conseil d’Etat introduit un précédent porteur de risques de dérives dans le fonctionnement de notre démocratie. […] Ce qui est sûr, c’est que le battage médiatique suscité sur cette affaire par la circulaire et par ses suites juridiques, a donné à M. M’Bala M’Bala et à ses propos une insolente publicité, lui conférant au surplus un rôle de victime, là où une poursuite sans faille des condamnations pénales déjà prononcées ou en cours d’examen auraient certainement eu plus d’effets. Car, à n’en pas douter, ce n’est pas cette interdiction qui arrêtera ledit personnage de véhiculer ses propos haineux habillés d’emballage humoristique. Encore une fois, ces propos sont condamnables et sanctionnables par la loi […]. A la peine d’emprisonnement, peuvent se substituer des interdictions d’exercice d’une activité professionnelle ou d’apparition dans des lieux ou catégories de lieux où l’infraction a été commise. Autrement dit, tout en respectant la règle de droit fondamental, il aurait été possible depuis plusieurs mois déjà de privilégier une accentuation des sanctions pénales prononcées à l’encontre de M. M’Bala M’Bala en laissant la justice faire son travail plutôt que de recourir à une mesure d’exception qui crée un risque de dérive par laquelle le régime d’exception se substitue à la règle fondamentale du droit et au travail judiciaire. » (« Le piège Dieudonné : rappel des positions de la LDH », 13 janvier 2014)

Mais là encore, il ne s’agit pas vraiment pour nos détracteurs et détractrices d’avoir un débat de fond sur les meilleurs moyens pour lutter contre l’antisémitisme et toutes les autres formes de racisme. Ni d’ailleurs d’engager une réflexion sérieuse sur l’intérêt théorique et pratique des analyses du courant des études postcoloniales (comme le font par exemple cet article de la revue Sciences humaines ou ce dossier du site « La vie des idées ») lorsque les mêmes agitent comme un épouvantail le Parti des indigènes de la République avec lequel elles et ils m’attribuent des « proximités ». Non. Il s’agit d’empêcher la réflexion et la discussion en réduisant la diversité et la richesse des débats du mouvement anti-raciste aux positions, par ailleurs contestables et souvent vivement contestées, de l’une de ses micro-composantes. Le but n’est pas la recherche commune et sincère d’un sens aux mots et aux choses pour non seulement mieux s’écouter mais aussi s’entendre, à défaut de parvenir à se mettre d’accord. Ni d’élaborer, à partir de nos conditions, de nos perceptions, de nos expériences particulières, les outils et moyens d’une lutte commune contre l’oppression et l’exploitation. Non. L’objectif est plutôt de discréditer, délégitimer et faire taire toutes les voix, dissidentes et dissonantes, qui remettent un tant soit peu en cause, de manière sensée et argumentée, le statu quo, l’ordre dominant, sous toutes ses formes. Pour ces gens-là, chercher à comprendre pour agir plus efficacement ce serait déjà s’impliquer, comme lorsque l’ex-premier ministre Valls disait que « expliquer c’est déjà vouloir un peu excuser ». « A mort l’intelligence, vive la mort ! » clamaient d’autres…

Et bien non, mesdames et messieurs les censeurs, vous ne nous, vous ne me ferez ni taire ni marcher au pas ! Vous êtes peut-être momentanément parvenu·e·s à affaiblir le débat démocratique en alimentant l’infect climat de peur, de suspicion et de haine qui s’est installé depuis trop d’années. Vous avez voulu nous enterrer, vous ne saviez pas que nous étions des graines. Vous avez essayé de nous diviser mais vous ne vous rendiez pas compte à quel point nous sommes des « têtes dures ». Vous n’avez au final fait que renforcer notre détermination à continuer à argumenter, débattre et convaincre de nos idées (ici, ou encore ), et à défendre, en principes et en actes, la devise de notre République : liberté, égalité, fraternité.

« You may write me down in history /With your bitter, twisted lies,

You may trod me in the very dirt/But still, like dust, I’ll rise. […]

Did you want to see me broken?/Bowed head and lowered eyes?

Shoulders falling down like teardrops,/ Weakened by my soulful cries?[…]

You may shoot me with your words,/You may cut me with your eyes,

You may kill me with your hatefulness,/ But still, like air, I’ll rise.

Out of the huts of history’s shame/I rise/Up from a past that’s rooted in pain/I rise

I’m a black ocean, leaping and wide,/Welling and swelling I bear in the tide.

Leaving behind nights of terror and fear/I rise/Into a daybreak that’s wondrously clear/I rise

Bringing the gifts that my ancestors gave,/I am the dream and the hope of the slave.

I rise/I rise/I rise. »

Femme, noire, insoumise. Et fière de l’être. Hier, aujourd’hui et demain.

A bon entendeur et bonne entenderesse !

Trump président : comment en est-on arrivé là?

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Rencontre à la Maison Blanche entre Donald Trump, le président nouvellement élu, et Barack Obama, le président en exercice, jeudi 10 novembre 2016 (Capture d’écran)

Commençons par le commencement…ou plutôt par la fin : Hillary Clinton a bien gagné une majorité des suffrages des électeur-trice-s des Etats-Unis. Selon les derniers résultats provisoires, elle et son co-listier Tim Kaine ont en effet obtenu 64 925 492 soit 48 % des voix contre 62 562 131 soit 46,25 % des voix pour Donald Trump et son co-listier Mike Pence, avec un taux de participation de 58,4 % (1). Et pourtant, c’est Donald Trump qui a été annoncé vainqueur et qui devrait être formellement confirmé comme tel le 19 décembre prochain par le collège électoral puisqu’il aurait remporté 290 à 306 des 538 « grand-e-s électeur-trice-s » qui composent ce dernier. Lire la suite

Beyoncé, les femmes noires et moi

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Scan photo de la couverture du livret de l’album Lemonade (Beyoncé, 2016)

Portée par l’euphorie de #BlackPantherSOLIT je suis allée acheter mon exemplaire de Lemonade et j’ai enfin pu voir, écouter et juger par moi-même THE album de l’année. Au final, c’est pas mal, voire même plutôt bien, mais quand un peu surfait par certains commentaires/critiques.

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« Les mains noires », Hamé, Casé, Angle mort

Black history month, baby !

Au bout d’un certain temps, je me suis dit : il faut que j’aille à Paris.
Parce que, continuer comme ça…J’étais encore fragile, je sentais qu’il fallait me renforcer, apprendre ; et puis aller dans la gueule du loup, vraiment, dans la capitale de l’impérialisme. C’est là que je devais venir, c’est là que l’épreuve décisive devait se passer
.” (Kateb Yacine)

Hamé
Je suis né juste après l’extinction d’un feu,
dont je garde des braises fumantes au creux
de ma gorge, de ma langue, de mes yeux
A ce pays de sable je n’ai jamais dit adieu

On m’a porté à bout de bras jusqu’ici
dans la poussière d’un septembre après-midi
dans des langes dépliés par le bruit
dans l’espoir d’entrevoir un peu la vie

Ça ne s’oublie pas un être humain qui n’a plus rien
et qui s’arrache pour mettre à table un bout de pain
c’est comme la peur du noir dans une chambre sans fenêtres
c’est comme des mots rares d’un analphabète

Et puis j’ai grandi en apprenant
des noms de géants : Feraoun, Fanon, Kateb Yacine
comme des trésors de guerre à la fin du film

D’un bout à l’autre de ma trajectoire
l’Algérie s’évade et revient me voir
tout comme je verrai jusqu’à l’ultime soir
le pas de mon père et ses mains noires

Casey
Les mains noires ce sont celles de ma mère
de beaucoup de mes héros ou de certains de mes alliés
quand je quitte ma terre, celle de ma grande-mère
qui me font des adieux du haut de sont palier

Les mains d’Aimé Césaire qui m’ont hypnotisée
quand elles ont saisi la plume et l’encrier
et puis m’ont rendu la dignité
avec le retour au pays natal de son cahier

Les mains de Martin, de Malcolm (X), de Toussaint
sans oublier le poing de Tommie Smith
de Frantz Fanon, de Raphaël Confiant
de Rosa Parks et d’Angela Devis

Les mains mutilées, empalées, empilées, gangrenées
à genoux, sans raison enchainées
qui ont tenu bon même à bout et dominées
je suis fière d’avoir les mêmes que celles de mes ainés

“ – … Imaginez ce spectacle extraordinaire, dix volcans à la fois crachant leur lave pour faire la Martinique. C’est fantastique, quelle naissance prodigieuse, çà vaut bien tous les big-bang !
– C’est donc une colère cosmique ?
– C’est une colère cosmique et, autrement dit, la colère créatrice, elle est créatrice !
Nous sommes loin de cette néréide sous la mer endormie, c’est beaucoup plus que cela; ce sont des terres en colère, des terres exaspérées, ce sont des terres qui crachent, qui vomissent et qui vomissent la vie, et c’est de cela que nous devons être dignes.Cette parcelle créatrice, il faut la recueillir et il faut continuer … Il faut la continuer. Et non pas s’endormir dans une sorte d’acceptation et de résignation.” (Aimé Césaire)

 

Semaine de mobilisations pour la justice climatique et pour la paix

La semaine prochaine, après le sommet citoyen sur le climat de demain et dimanche à Montreuil, plusieurs rendez-vous de mobilisations à ne pas rater!!!

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Non à la guerre ! Un autre monde, un monde de paix, de justice, d’égalité et de solidarité, est possible !

«  Ils haïssent ce qu’ils voient dans cette assemblée, un gouvernement démocratiquement élu. Leurs dirigeants se désignent eux-mêmes. Ils haïssent nos libertés : notre liberté religieuse, notre liberté de parole, notre liberté de voter et de nous réunir, d’être en désaccord les uns avec les autres. »

George W. Bush devant le Congrès états-unien le 24 septembre 2001

« Les actes commis vendredi soir à Paris et près du Stade de France, sont des actes de guerre. […] Ils constituent une agression contre notre pays, contre ses valeurs, contre sa jeunesse, contre son mode de vie. Ils sont le fait d’une armée djihadiste, le groupe Daech qui nous combat parce que la France est un pays de liberté, parce que nous sommes la patrie des Droits de l’Homme. »

François Hollande devant le Parlement français réuni en congrès le 16 novembre 2015

 

Au cours des cinq dernières années, de la Libye à la Syrie en passant par le Mali, l’impérialisme français a activement pris part à la nouvelle phase de la « guerre contre le terrorisme » lancée en 2001 par les Etats-Unis d’Amérique. Au-delà de la surenchère rhétorique, le choix du gouvernement Hollande-Valls d’ « intensifier » cette politique guerrière suite aux attentats du 13 novembre appelle une réponse alternative, anti-guerre et altermondialiste, tout aussi déterminée de la part des forces de gauche qui se revendiquent du meilleur des traditions anti-impérialistes et internationalistes.

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La tribune du jour : « Au Front de gauche, on prend les mêmes et on recommence ! »

Une tribune en forme de petit pavé dans la mare de la gauche radicale blanche, co-écrite et co-signée avec des camarades du Front de gauche.

Attention, c’est chô…

 

Régionales : au Front de gauche, on prend les mêmes et on recommence !

Par Fethi Chouder, Adjoint au maire (Aubervilliers, Seine-Saint-Denis) , Heger Ben Djemaa, Sympathisante (Chelles, Seine-et-Marne) , Assia Benziane, Adjointe au maire (Fontenay-sous-Bois), militante féministe , Pauline MacEachran, Sympathisante (Saint-Denis, Seine-Saint-Denis) , Sofia Manseri, Conseillère municipale, militante citoyenne féministe et antiraciste (Gennevilliers, Hauts-de-Seine) , Madjid Messaoudene, Conseiller municipal délégué (Saint-Denis, Seine-Saint-Denis) , Danièle Obono, Militante afro-féministe et altermondialiste (Paris, XIXe arrondissement) , Mounir Othman, Sympathisant (Saint-Denis, Seine-Saint-Denis) et Raphaële Serreau, Conseillère municipale (Saint-Denis, Seine-Saint-Denis) — Liberation.fr, 9 novembre 2015 à 20:06
Augmentation constante de l’abstention, chute de l’engagement dans les partis, défiance à l’égard du politique… Les analyses et les constats s’accumulent depuis des décennies mais rien n’y fait. Le système politique français continue de s’arc-bouter sur ses privilèges, qui en font la chasse gardée d’hommes blancs, plutôt âgés, appartenant aux classes moyennes supérieures. Si ce «communautarisme» des dominants n’étonne guère à droite, il a de quoi surprendre à gauche, quand cette dernière se prévaut encore d’idéaux révolutionnaires et émancipateurs. Certes, cette gauche-là n’est pas non plus la plus grandement représentée aujourd’hui sur l’échiquier politique… Mais raison de plus ! On sait le gouvernement Valls-Hollande et la direction du PS vendus liquette, corps et âme au néolibéralisme. EELV, qui a pu, un temps, présenter une approche un tantinet différente et novatrice, s’est embourbé dans ses contradictions internes. Quant au Front de gauche, n’en parlons même pas. Ou plutôt si, parlons-en justement !

Une belle idée au départ. Un bon programme : «l’humain d’abord». Une bonne stratégie : unité, autonomie et mobilisation citoyenne. Un réel début de dynamique militante et citoyenne, avec même un petit écho dans les quartiers populaires. Cinq ans plus tard, le rassemblement est resté un cartel d’organisations de plus en plus étriqué, maintenu sans grand enthousiasme sous respiration artificielle, et à qui l’on tente péniblement de redonner vie à l’occasion des échéances électorales. Le spectacle donné au cours des négociations pour les prochaines élections régionales est de ce point de vue particulièrement édifiant. Discussions dominées par la défense égoïste d’intérêts d’appareils, mise de côté de l’implication locale et citoyenne, mise au placard de nos revendications pour changer les pratiques et «faire de la politique autrement»… Résultat : divisions régionales, absence de lisibilité nationale, renouvellement et diversification de la représentation quasi proches de zéro.

Bien sûr, nous savons qu’aucune institution politique, économique, sociale ou culturelle n’est véritablement représentative de la France d’aujourd’hui dans toutes ses diversités. Et le Front de gauche n’a jamais fait exception. Des réunions de direction aux bancs du Parlement, ses élu-e-s et dirigeant-e-s ressemblent peu ou prou à celles et ceux des autres partis : majoritairement blanc-he-s, relativement âgé-e-s et CSP +. Tout ceci résulte de choix politiques (ou en l’occurrence de non-choix) et du refus (au mieux inconscient mais tenace) de laisser émerger de nouvelles générations. Les prochaines élections régionales seront un nouvel acte manqué, un de plus.

Ainsi, en Ile-de-France, deux des têtes de liste n’habitent pas dans le département dans lequel elles se présentent. Elles sont donc «parachutées». Deux sont déjà élues à d’autres mandats et donc potentiellement cumulardes, toutes sont membres des partis du cartel, et toutes sont blanches. Comment ces pratiques politiciennes, que nous ne pouvons que condamner, sont-elles encore possibles à gauche ? En 2015 ? Dans une région au tissu associatif dynamique, à la population jeune et si riche de sa diversité culturelle ? L’Ile-de-France serait-elle devenue, du jour au lendemain, une région «de race blanche», sans jeunes, sans classes populaires ? Dans une interview à l’AFP en février, Memona Hintermann, journaliste membre du CSA, déclarait que «les télés ont peur de montrer des Noirs et des Arabes». Visiblement, en tête de liste, le Front de gauche aussi. Il aurait pourtant plutôt intérêt à méditer les paroles d’Edouard Glissant et de Patrick Chamoiseau : «Nous sommes sur la même yole. Personne ne saurait se sauver seul. Aucune société, aucune économie. Aucune langue n’est, sans le concert des autres. Aucune culture, aucune civilisation n’atteint à la plénitude sans relation aux autres.»

Plus de trente ans après la marche pour l’égalité et contre le racisme, et dix ans après les révoltes des quartiers populaires, il y a quelques jours, la Marche de la dignité et contre le racisme, à laquelle ont appelé les principales forces du Front de gauche (PCF, PG, Ensemble), réclamait justement le respect des quartiers populaires dans toutes ses composantes. Malgré les luttes contre le racisme d’Etat, les discriminations et les inégalités n’y ont jamais cessé. Parce que, précisément, rien n’a changé. La situation s’est même aggravée. La politique du PS, dans la lignée de celle d’une certaine droite raciste décomplexée, l’a fait empirer et a alimenté la montée du FN. Et la gauche radicale n’a ni su ni voulu s’adresser à, représenter, et encore moins s’allier à ces mouvements de toutes les couleurs.

Antonio Gramsci disait que « la crise consiste justement dans le fait que le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair-obscur surgissent les monstres » . Aujourd’hui, à gauche, la vieille politique qui se meurt doit accepter de faire place à la nouvelle, qui s’invente notamment dans les mouvements alternatifs et autonomes pour pouvoir vaincre les monstres que nous avons laissés prospérer. Faire place, en notre sein, à l’égalité réelle, incarner l’idéal républicain à travers notamment une meilleure représentativité. Faire «place au peuple», à tout le peuple. Le temps nous est compté.

Le rendez-vous à ne pas rater à la fête de l’Huma : le débat sur les violences policières

Sources photos : pages Facebook “Qui a tué Ali Ziri” – Le film & “Marche pour la dignité et contre le racisme”.

Le rendez-vous à ne pas rater à la fête de l’Huma c’est samedi 12 septembre à 19 h au stand du Front de Gauche (avenue Toussaint Louverture) : débat sur les violences policières, organisé par le Front de Gauche antiracismes, avec Luc Decaster, réalisateur du film “Qui a tué Ali Ziri”, Omar Slaouti, membre du Collectif “Vérité et Justice pour Ali Ziri” à Argentueil (95), Amal Bentounsi, membre du collectif “Urgence Notre Police Assassine” et initiatrice de l’appel à la “Marche pour la dignité et contre le racisme” du 31 octobre 2015, et Salomé Linglet, membre de l’ACAT.

De la révolte et de la beauté

Aujourd’hui, pour commencer la semaine, une photo et un texte : ni oubli, ni pardon, notre colère, notre révolte, notre beauté.

Zyed et Bouna  : pas de justice, pas de paix.

– “Qu’adviendra-t-il de toute cette beauté”, le très beau et très juste texte introductif d’Houria Bouteldja au meeting anniversaire des 10 ans du PIR, le 8 mars dernier, à la bourse du travail de Saint-Denis.

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